Nous en somme

Hélène Cixous

Université Paris 8

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— Nous ne disons pas exactement la même chose, dis-tu

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— Exactement, dis-je. « Pas exactement ».

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— Nous ne disons jamais exactement la même chose.

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— Nous ? Quinous ? Nous un ? Nous deux ?

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— Étant toujours jamais exactement le même, la même, les mêmes, mêlées d’êtres.

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Et puis il y a les mots pour saler d’inexactitude tout ce que nous sommes comme sommes de n’étances d’inexactitudes d’àpeuprésences, surtout lorsque nous sommes poussés, portés aux bords, aux extrêmes aux indéterminables confins des fins.

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Mais pour commencer il y a le mot chose, pour commencer à nous égarer

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Nous disons d’un commun accord : « nous ne disons pas exactement la même chose ». Cela veut dire quoi ?

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Je ne sais pas. Cela demande une explication. Cela se passe d’explication. Nous nous comprenons. Et pourtant. Je ne me comprends pas moi-même et pourtant je te comprends et pourtant je ne peux pas te comprendre, tu me dépasses, me débordes, me comprends, m’environnes, je ne peux pas te contenir mais je te comprends,

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— Tu me téléphones. Je t’écoute. Je dis « tu », « t’ » mais plus exactement c’est ta voix, ta voix pour toi, ton envoyée, ta métonymie miraculeuse. Je dis « je t’écoute ». Mais c’est ta voix que j’écoute. Je parle avec toi dans ta voix, est-ce une chose est-ce un corps est-ce un nombre, une ombre, un être, un multiple. Qui me dit que ce n’est pas un animal peut-être ? C’est t’. Je t’. Voici que se forme un être un peu siamois, aussi à moi qu’à toi, un peu césuré, ajointé aéré. C’est je t’. Cet être est mouvement vers, tension, attention. Dasein, dirait Heidegger, comme ouverture à l’être. Je t’.

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Au sujet d’une pensée de la différence sexuelle, nous sommes d’accord mais nous ne disons pas exactement la même chose.

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Autrement dit : nous disons toujours presque exactement la même chose. Nous nous disons : « nous disons pasexactement la même chose ». J’ai à penser le pasexactement. Le pasexactement, le presque, le plus exactement possible longent les rives de ces instables que nous appelons « genres » et que nous prononçons à l’évasive sans jamais bien savoir où nous mènent des mots si forts.

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J’ai dit : « nous nous disons ». Disant cela je ne sais pas exactement ce que cette phrase dit. Elle accouple deux nous identiques littéralement et cependant dissemblables. C’est comme lorsque J. Derrida, poursuivi par la phrase « nous nous devons à la mort » (dans Demeure, Athènes) se retourne soudain vers la poursuivante et la regarde dans les yeux : nous nous devons. Nous nous deux vont. Nous est deux nous. Le deuxième nous, celui qui vient après le premier nous, est celui qui commande au premier de le seconder.

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— Qu’est-ce qu’un genre ? L’autre.

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Tout genre est tout genre. Et toute espèce aussi.

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J’écoute. Je cite : « Nous ne disons pas exactement la même chose ». Ceci est maintenant une phrase. Qu’est-ce qu’une phrase ? Selon J. Derrida la phrase qui a bondi sur lui dans Demeure, Athènes était une panthère. Un genre de panthère. L’esprit d’une panthère, son résumé, sa force.

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Elle m’attendait depuis des siècles, dit-il. Cette panthère est d’une espèce autre, d’une transespèce. Elle traverse les siècles, la psyché, le cœur, les langues. Et dans son bond elle emporte, transcende la région indéfinie où la vie, approchée par la « chose » appelée « mort » par les « vivants » s’indécise en survie, s’ajoute se surpasse.

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Il y a donc des surpanthères.

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Pendant que je t’écris Philia vient s’asseoir, s’accoupler au papier, elle prend mon stylo dans ses mains de velours m’additionne de tout son être : chat chatte, « chat », au nom donné de Philia. Je l’accueille aujourd’hui comme au temps de Montaigne et de La Boétie. Montaigne et La Boétie quels noms, quel mystère quelles amours. Qu’est-ce qu’une Boétie, quelle Bohème, quel beau aime, quel mont, quelle Illyrie, et si La Boétie n’avait pas signé, incarné sa présence terrestre d’un nom pareil ? Montaigne ne nous dit pas qu’à sa chatte à plaisir il a donné le nom de La Boétie, il nous laisse le deviner. Entre eux, la couture qui fait de deux une seule créature est invisible.

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Lorsque Philia (je veux dire ma chatte ainsi nommée) est mêlée à moi, et nous sommes aussi mêlées de papier, de toi, de voix, de notre dernière conversation, (à quoi s’ajoutent « Politiques de l’Amitié », et toutes les « politiques » et les « amitiés » que sous ce mot et ce nom J. Derrida nous fait repenser) nos affections nous emportent au-delà de nous. Si, certes, c’est un sujet merveilleusement vain, divers et ondoyant, que l’homme, alors qu’avons-nous à faire du mot « homme », sauf à le mettre à dissoudre à l’onde, à l’ondoyer.

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Mais nous ne savons toujours pas encore qui ou quoi « je » « suis », au moment où se joue telle scène quotidienne pourtant, avec « l’autre animal ».

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« Quand je me joue à ma chatte, se dit Montaigne (Apologie de Raymond Sebond), qui sait si elle passe son temps de moy plus que je ne fay d’elle ? »

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Et ce n’est pas seulement le temps qu’elle me passe c’est donc aussi une multiplicité de différences qu’à nous deux, — en somme incalculable, — elle fait présent

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Elle me chat et me chatte me convertit me chasse me chaste me chattre me métamorphose, me charme, change châtie

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d’un moment à l’autre de notre vie

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Ma mère ne s’y trompe pas : que je puisse me faire chat et d’un chat cela scandalise son besoin d’ordre

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Fantasme, fantasme tout est fantasme. Ma fantasmère est contre l’acte joueur.

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Je note : 1) l’être qui a bondi sur J. Derrida un jour de juillet (juillet son mois de naissance) dans la lumière de midi grec est un animal de genre féminin. Elle lui dit : nous nous devons à la mort. Quel rapport, quels rapports entre les éléments en tous genres de cet événement ? 2) L’animal qui l’est qu’il est qu’il n’est pas, qu’il suit, l’animal-que-donc-je-suis est une chatte

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Celle — avec laquelle, par laquelle, arrive le scandale philosophique c’est une chatte.

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Mais qu’est-ce donc qu’une chatte ? Une chatte est toujours aussi, non seulement un chat, mais une métaphore, un sexe, une femme, une déesse égyptienne, le souvenir de la panthère d’ Une Passion dans le désert (Balzac), créature à substitutions selon le regard et l’état d’âme de son amant, sultane, palmier, lion, reine, enfant, courtisane, amazone, dieu, cœur.

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3) Quand Montaigne se joue à l’autre, c’est à sa chatte, précise-t-il. Non à son chien ou son cheval. Et pourquoi ce choix de chatte ?

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Je prends cela « au sérieux ». Comme le jeu, autrement dit le jouir même : le moment vertigineux du passage d’un état (d’âme, d’être, de sexuation, de tracement) à un autre

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Je prends le jeu au sérieux : le faire comme-si, l’invention l’évasion, la fiction fait la réalité

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Je n’en conclurai pas que l’un et l’autre, philosophes, Montaigne Derrida se vivent au masculin dans la rencontre. Il se peut qu’ils répondent avec ce qu’il y a en eux, ou en la philosophie — ou la pensée, de « féminin »

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Au contact de l’autre corps je est joué diversement, selon que l’on « vit » ou « voit » la scène depuis en deçà ou depuis au-delà des Pyrénées

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Mes chattes, qui sont à l’occasion homosexuelles, sont des joueuses, des acteurs, des conteuses

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Lorsqu’elles sont en état d’homosexualité (anatomique donc, chatte sur chatte) je ne sais pas si l’une passe de sexe pour l’autre laquelle fait le chat lequel.

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« L’animal que donc je suis » dit J. Derrida, en été, est vraiment une chatte, alors, en ce temps « depuis le temps », tout en étant aussi « l’animal » en général celui dont il dit qu’il est l’autre. Tout autre est « l’animal ». Et je le suis. Dit-il. Cet animal singulier que je suis n’est pas toujours exactement le même la même. Une fois chatte, une fois hérisson, selon le jour ou la saison, ou ver à soie au sexe inélucidable. Une somme non finie de bêtes parmi lesquelles aussi des bêtes de somme, voilà ce que nous sommes en été. Au printemps nous fleurissons en épine rose, d’un rose vital et mangeable, selon l’expérience du narrateur proustien.

Polysexualité, felixsexualité

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— Quand je me jouis à ma chatte, de quelle ou quelles sexualités est-elle, suis-je, sommes-nous, le double corps réceptif… ? Comment nommer ce jouir dont les formes très raffinées sont à la fois familières et totalement infamilières, quand ma chatte s’étend sur le dos et se donne à caresser selon une modalité humaine par un individu d’une autre espèce, elle passe la barrière des espèces, fait le chemin des sens vers moi, partenaire dont elle devine, traduit, intériorise les modalités, de même que moi je me chattise le plus possible pour la chatouiller où je sens qu’elle me veut aller, de même qu’elle vient appliquer sa bouche à ma bouche ce qu’elle ne fait pas avec son autre chat ou chatte, mais à moi, se traduisant vers moi elle le fait, ses très minuscules lèvres aux miennes

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Donc souplesse infinie des différences sexuelles qui ne se laissent pas commander par l’objectivité anatomique ou biologique. Il s’agit d’amour — pas seulement d’anatomie ni d’espèce, ni d’hormones ni de gènes, il s’agit de lecture.

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Qu’est-ce donc que l’amour ? Ce serait une surintelligence un désir de l’autre, désir du bonheur de l’autre capable d’inventer des passages, des signes, des langages, une surintelligence, indépendante des codes d’espèces, des acquis culturels,

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Je dis l’amour, un amour de jouissance sans violence sans rapport de force, une bienveillance, une bienjouissance, un caresser fait d’attention, d’écoute, un abordement, un effleurement, un lire le regard de l’autre avec le regard qui bénit.

Lettre des lettres, tout est lettre

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« Il se trouve » (comme dit J. Derrida dans Genèses, généalogies, genres et le génie. Les secrets de l’archive, p. 16-17) que mon père s’appelait Georges, — Georgette sa mère.

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Des g de georges, bien plus d’un, J. Derrida aura fait tous les contes ce g, qui dramaturgise en français toutes les genèses du corpus que j’en viens à signer H.C. On peut voyager loin avec ce g, g initial, initiant. Lui-même, toi, J. Derrida, tu lui auras fait une scène géniale et inoubliable avec Glas cette bible des genèses en tout genre. C’est à Glas qu’il faut aller demander « qu’est-ce que « g » ? », tous les sens, sons, us, notes, secrets, de ce signe ou chose, y sont glanés et pas seulement dans la langue française mais dans la germanique et dans la grecque également.

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Drôle d’ange du genre que ce G. « Il se trouve », dit J. Derrida. À trois reprises, selon trois points de vue.

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Or le deuxième « Il se trouve » ouvre une parenthèse qui suggère ce qu’il pourrait en être du génie du genre, de ses mystérieux pouvoirs : il s’agirait de se trouver, « de façon quasi aléatoire ici ou là », de se trouver au hasard donc, au lieu de l’autre « comme l’autre à la place de l’autre ». O admirable amphibologie : « comme l’autre à la place de l’autre » — voilà le vertige même du genre, la question toujours indécidable du genre comme vertige.

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Chance du G. et chance du Ci, sons qui initient, incipent le destin de mon père et par suite le mien.

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Georges s’appelait, était appelé, aussi, Cigogne.

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— Mon père s’appelait Cigogne.

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— Tu sais ce qui arrive quand on donne un surnom, au nom propre, quand un surnom vient coiffer vêtir déplacer, pseudonymer l’ancien nom propre impropre à résister à ce plus-nom à ce plus que nom, nom de plumes et de bec, ce qu’il arrive au surnommé, tu sais, et ce que cette fiction — cessant d’être fiction dès le surnom passé pour le nom, — risque de produire comme effets de « réalité », donc comme réalité, — car toute « réalité » est une ancienne fiction devenue naturelle à la deuxième génération

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— lorsqu’il se donne aux héritiers du surnommé, tu le sais ?

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— Un peu.

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Mon père était appelé Cigogne. En tant que Cigogne, — à Oran j’avais trois ou quatre ans — il avait un uniforme d’oiseau kaki, en tant que lieutenant il avait un uniforme à képi bleu ciel. Je suis la fille d’un oiseau migrateur. J’ai été la fille d’une Cigogne et je le suis restée. Cette Cigogne était un Cigogne. Ma mère n’était pas cigogne, et pourtant les Cigognes étaient en général originaires de Strasbourg sa ville natale, sauf mon père. Les cigognes faisaient halte à Oran dans leurs migrations. Selon moi, tout venait de l’autre nom, Cixous, le nom de famille de mon père. Mon père commençait par Ci -. C’était sa cignature. Sur ce Ci- il lui arrivait, et donc à moi aussi, des aventures d’errant chérubinique décrites d’avance par Angelus Silesius

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Mon père était une Cigogne et pourtant c’est ma mère qui était sage-femme. La cigogne est un nom féminin même quand l’oiseau est mâle. Ma mère mon père les cigognes et moi ma famille est métisse de cigogne. Omi ma grand-mère appelait mon père Zigeuner par homonymie, et synonymie. Presque tous nous fûmes un peu nomades, un peu oiseaux, un peu coupés, pétris, additionnés. Famille des mots êtres et noms en Ci et en G.

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Cette fois tu avais tant vieilli que l’esprit de vieillesse s’est étendu à moi. Tout d’un coup, à table, j’ai vu pendre un poil de barbe gris fer long d’une dizaine de centimètres, qui partait de mon menton. Une vraie barbe. Je me hâtai de l’arracher, ce qui n’arrête pas la honte. En passant ma main tremblante sous mon menton, j’en trouvai quatre ou cinq, de quoi me discréditer devant tout le monde. Quelle angoisse. Je pressai A de bien vouloir jeter un regard sur mon visage. Hélas. Le verdict est clair : j’ai de la barbe, grise, et même jusqu’à ma lèvre qui naguère était si jolie.

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Que tu sois cause de ma métamorphose ne change rien à la chose. On est toujours l’autre. Comme nous sommes tristes, l’un pour l’autre, je ne peux pas ne pas reconnaître ce qu’il en est de cette double mutation. Ces poils ont certes une vigueur. L’âge apporte-t-il encore une autre modalité sexuelle ? Me voilà gagnée par toi, il faut que je m’y fasse.

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Un même individu, me dis-tu, peut être marqué par plusieurs types de pulsions, le corps est sexué polysexuellement.

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Certes, je sais bien que tu me transformes. Et toi, j’aimerais bien savoir à qui, ou quoi, tu ressembles en ce moment ?

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Devrais-je donc laisser cette barbe pousser, par fidélité à la trace ?

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Mon premier mouvement a été d’épiler. Comme on tient à perpétuer les apparences ! À sa propre ressemblance, un masque pourtant.

Symfaunie

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Ma première passion m’a prise pour un faune. Je veux dire : la première apparition qui m’ait jetée à la fenêtre du regard, fut celle d’un faune. J’avais six ans. Je (devrais) pourrais écrire tout ceci au masculinneutre, ce qu’alors j’étais à peu près, n’étant ni fille ni garçon mais profondément myope donc, en tant qu’être vivant, pervers polymorphe oui, plutôt père et souvent ver de terre. Je tombai. Je me brisai en morceaux. Je fus recueillie et posée sur les genoux d’un faune. J’avais le visage trouble — je pleurais — tourné vers l’amour même. Une créature forte, sauvage, indéfinissable penchait un visage couronné sur le mien chiffonné avec un sourire que plus tard je reconnus sur les Vierges peintes et que je sais maintenant être le sourire de la compassion infinie. On me comprenait, et jusqu’à mon dernier jour, et cela je le vis, je l’ai vécu, je l’ai compris. S’il faut perdre une vie pour recevoir une naissance, je suis d’accord. Or c’était un faune qui me portait au-dessus du malheur. Et je pourrais arrêter ici mon histoire amoureuse. Car depuis ce temps-là je n’ai jamais aimé jusqu’à la mort et au-delà que le faune en personne. Un faune ou une autre, et couronné. Une couronne de boucles. Sombres.

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Fus-je amoureuse ? Non. J’aimai, je sus tout des bontés de l’amour, de ses sexualités compliquées, de ses transformations en boucle, de son sourire indéchiffrable, inquiétant, inquiété

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Étais-je prédisposé(e) au faune ? (Je ne sais pas). On ne m’avait pas prévenu(e) ni interdit(e). Qu’est-ce qu’un faune ? Un Mischling de mot et d’être. Comme ces Mischlingen ces mixtes de conscience et d’inconscient, ces rejetons de pulsion nés du commerce entre les deux systèmes dont parle Freud par la suite cité par J. Derrida (Séminaire la Bête et le Souverain 2002), ces exclus, ces refoulées, qui approchent tout près de la conscience mais pas trop près, pas assez près pour être censurés, assez près pour fonctionner comme des formations de substitut, des prothèses, des suppléments. Une faune de supplément, deux fois prothétique, secours pour moi, et créature à double genre de sexe inconnu. Un faune être est un faune mot aussi. Un mot faune. Un faune est aussi une faune. Il faut un faune pour sacrer le printemps. L’amour aime toujours un faune : le faune intérieur, le faune — ce peut être une faune par moments, le faune étant à la fois instantané et momentané — le faune est la vérité de l’amour. La vérité dans l’amour. Le secret. Un faune est une force de l’imagination qui existe en réalité. Une force ou une farce.

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Aimée, relevée, j’aimai un être qui était un autre, un être dans un autre. La foudre douce dura une heure peut-être. Une de ces heures qui appartiennent au genre de temps sans âge et sans mesure.

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Or — pour en révéler quelques traits, l’être était un faux faune. Je sus plus tard qu’une jeune fille très femme en était la forme cachée. Ce faux était la vérité du faune. Le mot faune ne ment pas. D’ailleurs je ne sais jamais si.

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— Si il ou elle n’avait pas eu « des yeux aussi noirs — ce qui frappait tant la première fois qu’on la voyait – je n’aurais pas été, comme je le fus, plus particulièrement amoureux, en elle, de ses yeux bleus », disiez-vous. (Du côté de chez Swann — T II p. 139)

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L’amour c’est ça. L’amour c’est si. L’amour ne sait pas. L’amour est conditionnel. La condition est l’erreur qui est une vérité. Il faut un faune. Sans le noir qui fait bleu, sans la femme dans le faune, sans le faune sur la femme, sans le faux dans le vrai ou dans le faune la vraie, je n’aurais pas été. Je n’aurais pas été, comme je le fus, et si je n’avais pas été, je ne serais pas comme. Je n’aurais pas été, plus particulièrement amoureux, en lui, d’elle, en elle, de ses boucles de bouc, je n’aurais pas été amoureuse dedans mais après ou de côté, je ne serais pas tombée cette fois pour toutes, sur les genoux de Comme. Les yeux levés vers le sourire, je regardai un une peut-être divine complication de genre d’espèces de corps de fable de charme insaisissable et prodigué. Je ne serais pas comme, je ne serais pas devenue consolable plus particulièrement par tel être indéfinissable, improvisé, à jamais hors bord et hors mort, puisqu’après tout il n’était d’aucun règne d’aucun ordre. Et voilà comment au commencement de mon histoire il y eut une créature hybride. Le mot hybride est lui-même un sang mêlé latin un ibrida de sanglier et de truie, de sauvage et de familier, à son tour emmêlé de grec par ressemblance avec hubris qui dit l’excès.

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— Mais comment penser l’excès ? Où commence l’excès ?

Nous que je suis en somme

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Rêve je te dis, me dit la Phrase

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(qui plus tard deviendra le titre d’un livre publié en 2003 et qui semblait s’adresser, le livre, l’injonction, à plus d’un lecteur, ou destinataire, à commencer par Jacques Derrida, ou Simon Hantaï ou le facteur ou la faiseuse de rêves)

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la Phrase des Phrases, venue de qui, venue de dieu l’inconnu(e), comme elles viennent à J. Derrida, comme elles viennent de J. Derrida.

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— Rêve je te dis.

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— J’obéis, deux fois : je rêve et je dis le rêve.

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Mais je ne fais jamais qu’obéir.

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— Tu dis : je rêve ?

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— C’est une façon de parler habituelle. À vrai dire je ne fais pas les rêves, je ne rêve pas.

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Des rêves viennent à moi. Envoyés du Rêve, ils sont envoyés à Kafka. Comme des Venants.

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Mon obéissance est vide, humble, désarmée, soumise. Bien plus impuissamment qu’à Dieu auquel j’adresse, je n’adresse pas en vain ma prière. Car la prière prie.

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Mais j’ai beau appeler le Rêve à m’advenir, il n’advient pas ne revient pas. J’éprouve cruellement son absence, sa moquerie. Le Rêve règne au-delà de Dieu.

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Je devrais donc dire : il arrive que je sois visitée, introjectée, prise de rêve, infiltrée, entée, enchentée.

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Les rêves sont des poèmes crapuleux que je me vole. Ils me sont faits. Je suis refaite. Je suis grêvée

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Ils tuent, ils donnent la vie, à volonté, leur volonté. Que fais-je ? Écris-je les écrivant ? Est-ce littérature ce travail sur moi à travers moi sous hypnose ? Scène mais quelle ? On n’a jamais vu exscène pareille

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Seules les douleurs me semblent miennes, toutes les douleurs, les horreurs, tout le mal me malmène, le cinémal

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Suis-je la poule du rêve suis-je l’œuf du rêve

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Ponds-je ou suis-je pondue,

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Ou bien les deux, pondeuse pondue ré-pondue me trouvant trouvée perdue à la place de quelque autre de genre souvent bien inattendu et totalement méconnaissable.

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Si je ne sais plus qui je suis qui être, où, comment ça va, comment aller où, le chef ré-pond pour moi et de moi avec une audace calme qui surpasse toutes mes craintes (et tous) mes soupçons et mes répugnances sans se gêner. Le chef, c’est qui ? Le général, le cuisinier, la tête de l’état, l’empereur, la muse Métonymie, la belle dame sans Merci sans mère sans ci, la Vérité en feinture. Je dis « le chef » pour faire court. L’être aux commandes de l’armée des fantômes et fantasmes. Le général peint — ou filme ou met en scène des orthoportraits animés, précisément datés. Qu’est-ce que « le général » ? Le général est un chef à plusieurs genres selon les moments, selon le texte, selon l’histoire et selon sa propre histoire. « Le général » est un être de feinte. Cela veut dire à la fois qu’il feint et qu’il est feinté

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En général le général est son autre : en tant que son allié il est son propre ennemi, il se traduit, toujours, en justice, s’il est stratège c’est en tant qu’écrivain, il est mené par le bout du nez de son cheval, s’il a un cheval, s’il est en voiture c’est la voiture qui en fait à sa tête. Le général est toujours une synecdoque : chaque partie est un tout. Chaque partie est plus grande que tout tout. Un chapeau brodé qui cavale avec trois chapeaux brodés à ses côtés, voilà le rêve. Un rêve est une guerre dont il est vain d’essayer d’interpréter les événements pour y trouver le sens de ce qu’il fait, la clef de ce que tu vas faire. En général, le général est comme un écrivain qui pense faire une certaine pièce et qui en fait une autre. L’écrivain est comme un général qui veut faire une certaine bataille. La bataille —, le livre, — a tout du rêve : celui qui le « fait » n’est pas celui qu’on croit. Le rêve est l’autre maître du général qu’est l’écrivain. Ses rapides déplacements de troupe, ses énallages, ses feintes, — soit qu’il ne laisse qu’un mince rideau devant un de ses adversaires pour tomber toutes forces réunies sur l’autre, son amphibologie, ses dérobades tout chez lui étant gouverné par l’incertitude on ne peut jamais le prendre sauf en défaut.

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Je suis deux maîtres en somme, le maître auquel nous obéissons les yeux fermés, notre autre maître auquel le maître autre, celui qui nous ferme les yeux, nous rend tous les matins. Tout ça est une question de point de vue. Dans tous ses cas de figure le général que je suis, sois-je Fabrice, sois-je Marcel, ou une autre, dès lors que Je le suis, et que par suite je le suit, le général ou moi, en somme, nous ne tenons aucun compte du point de vue du prétendu ordre du jour. J’ai mes rêves et nous éprouvons des sensations d’être qu’il ne m’est pas si facile de peindre en logique sociodiurne. Même moi il m’arrive de constater que j’ai pris un léger retard au sujet du pluriel. Surtout lorsque nous, en somme, se déplace à grande vitesse. Lorsque nous, mes rêves et moi, nous sommes par exemple une pomme ou un pot de confitures, successivement ou côte à côte, l’allure de l’animation-désanimation étant assez pondérée, j’ai le temps de me faire à notre multiplication en tous genres.

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Comme c’est le cas pour Je-Proust, pot et pomme, pomme et pot, une nuit où il vaque entre sommeil et réveil, une petite partie du tout dormant qu’il est en somme allume, s’éclaire, voit le reste dormir, tout va bien, et s’éteint. La petite partie qui allume c’est le pot de confitures, un mélange singulier de féminin masculin pluriel singulier. Tout va bien, il fait nuit noire dans l’armoire, on entend le bois bien travailler, les attelages et mariages vont leur train on peut « retourner à la délicieuse insensibilité de la planche où ils sont posés, des autres pots de confiture et de l’obscurité »[1] .

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Moi aussi je peux être pot/posé sur la planche qui dort. Mais lorsque la petite partie de moi qui s’allume détale comme l’éclair, me voilà dis-tancé(e), je rate notre coche, je me sens demeurée, inquiète, abandonnée

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Le 1er mars 2003 j’étais rentrée à la maison à 23h, seule, abandonnée, deux fois trahie par le maître, je n’eus qu’à sortir de cette ville à tout prix avec une voiture qu’on ne voit pas, qui file devant soi, à l’extérieur de laquelle on se hâte, la poussant et la suivant, car il faut la mener et la sauver, par contre on voit toutes les autres voitures qui m’entourent et foncent, la voiture c’est moi, en personne, une fois je roule à toute allure vers le feu, je veux absolument passer avant les autres, il y a au pied du feu un trottoir dans lequel je risquai de me jeter, je fis un écart sur la droite pour l’éviter, mon nez de voiture est presque tamponné par le gros nez noir d’une voiture énorme conduite par un homme, quand je veux me redresser et partir droit de toutes parts des voitures foncent brutales prêtes à couper, accidenter, prenant les autres de vitesse, de force. Et quand enfin j’arrive à passer ce cap, j’arrive devant l’entrée du métro, qui est comme la bouche de l’enfer pour qui aime trop, ce qui est mon cas. Pour nous les voitures on dirait qu’on doit passer par une ouverture étroite, basse, creusée dans le sol. Un coup d’œil me dit : je ne peux pas passer par là sans me tuer, non, il faut que tu prennes à gauche par le tunnel poussiéreux découpé grossièrement dans la matière. La matière, le sol ? Je fais très vite le choix, mon rythme de voiture au risque de me cogner de toutes parts. Quand enfin nous débouchons sur un quai, c’est un quai de fleuve repoussant, à l’abandon, est-ce un train qui doit arriver là, ou une eau ? Pour la première fois de la journée je croisai des êtres humains je crois : deux jeunes femmes qui remontent en sens inverse. Je les reconnais : ce sont des femmes. O nostalgie de l’humanité ! Moi seule voiture j’avance sur ce littoral désolé, d’une saleté inouïe, partout des détritus, des rebuts, d’un autre temps. C’est alors que j’aperçois quatre petits membres de bébé nus rouges qui gigotent, l’enfant-lui-même, le torse l’abdomen etc., couvert de sable gris, vit encore, j’imagine. Maintenant je comprends : les deux jeunes femmes ont dû l’abandonner. O nostalgie de l’humanité. Ça doit chercher à respirer sous ce sable qui n’est pas épais. À se découvrir. Et alors ? J’ai déjà les chats aux belles cuisses et tant de soucis. J’ai déjà tant de mal à sortir d’ici si jamais j’y arrive. N’ajoutons pas un poids supplémentaire et fatidique à ma vie. Je passe devant la chose qui s’agite sans m’arrêter, comme on passe sans s’arrêter devant toutes les misères du monde. Je suis déjà tellement chargée de telles difficultés, deux fois trahie, abandonnée. Je ne dis pas que je suis insensible à la culpabilité. Un sable gris me pèse sur la poitrine. Cette journée est audelà de l’apparence humaine. Autant me crever les pneus. Il faudrait en finir. O la nostalgie du pot de confiture. Dormir, rêver peut-être être la planche qui ne sent rien, la confiture, l’obscurité.

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Mais j’étais la voiture, j’étais l’enfant. Et ce train ou ce fleuve qui n’arrivent pas.

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On ne sait même pas qui sauver qui on sauve à la place de qui. « Pourquoi me tuez-vous ? » J’aurais dû demander ça — mais à qui ?

Hélène Cixous

Université Paris 8

Notes

[ 1] Marcel Proust, « Esquisse II », Du côté de chez Swann, in Pierre Clarac et André Ferré (éd.), Œuvres complètes, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1973, p. 640.